La Stylométrie : Une Révolution dans les Enquêtes Judiciaires

Des correspondances du « corbeau » de l’affaire Grégory aux messages anonymes liés à Tariq Ramadan, la stylométrie s’impose comme une arme nouvelle dans les enquêtes judiciaires. Issue des travaux pionniers de la linguiste américaine Carole Chaski, cette discipline transforme les mots en preuves et l’écriture en empreinte numérique.

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Stylométrie : la science des mots qui révèle les vérités cachées

La stylométrie s'affiche comme une méthode novatrice au sein des enquêtes judiciaires modernes, apportant un éclairage précieux sur des affaires complexes. Elle permet d'étudier la manière dont un individu s'exprime à travers l'analyse quantitative et qualitative de son écriture. En effet, cette discipline, issue des recherches de la linguiste américaine Carole Chaski entres autres, transforme efficacement les mots en preuves tangibles, offrant ainsi une approche scientifique pour identifier les auteurs d'écrits anonymes.

Une signature que l’on ne peut effacer

Chaque individu écrit comme il respire. Derrière les mots, une syntaxe, un rythme, une structure trahissent l’auteur. C’est sur cette idée simple, désormais démontrée par des décennies de recherches, que repose la stylométrie, science qui identifie l’origine d’un texte par l’analyse statistique de ses traits linguistiques.

Syntaxe, longueur moyenne des phrases, usage des connecteurs, fréquence des déterminants : tout devient indice. Ces marques, inconscientes et inimitables, constituent ce que les experts appellent une empreinte stylistique. Longtemps marginale, cette approche s’est imposée grâce à une figure centrale : Carole E. Chaski. Linguiste et informaticienne, formée à Brown et Georgetown, elle a fondé l’Institute for Linguistic Evidence, premier laboratoire dédié à la linguistique forensique.

Son ambition : donner aux juges des outils objectifs pour identifier l’auteur d’un texte avec une fiabilité mesurable. Grâce à ses modèles statistiques et ses logiciels (notamment ALIAS), Chaski a fait entrer la linguistique dans l’ère de la preuve numérique. Dans les affaires contemporaines, ses méthodes irriguent la quasi-totalité des expertises d’écriture judiciaire.

Tariq Ramadan : quand la stylométrie bouleverse un procès

L’affaire Tariq Ramadan, récemment relancée en Suisse, illustre la puissance de cette technologie linguistique. Condamné à trois ans de prison pour viol, l’islamologue a demandé la révision de son procès, s’appuyant notamment sur une expertise stylométrique.

Cette analyse, conduite sur des messages anonymes publiés avant sa rencontre avec la plaignante suisse, a révélé des similitudes fortes avec l’écriture de cette dernière. Les marqueurs syntaxiques, les structures de phrases, l’usage récurrent de certains mots : tout converge. Les juges genevois devront désormais examiner ces données, qui pourraient reconfigurer un dossier marqué par des zones d’ombre. La stylométrie offre un accès direct à la vérité des textes, en contournant la mémoire, l’intention ou le discours. Ce que l’on écrit ne ment pas.

Le petit Grégory : la science au secours de l’histoire

Quarante ans après le meurtre du petit Grégory Villemin, retrouvé noyé dans la Vologne, la stylométrie a permis de redonner un visage au corbeau.Les lettres anonymes, au cœur du dossier depuis 1984, ont été passées au crible par un laboratoire suisse spécialisé. Résultat : une correspondance stylistique nette entre ces courriers et les écrits de Jacqueline Jacob, grand-tante de l’enfant.

Les experts ont identifié un même usage des phrases exclamatives, un rythme particulier de subordination, et des tics de langage constants. Ce profil linguistique forme une signature : une identité scripturale aussi distinctive qu’une empreinte ADN.

Ces résultats, remis à la justice française, ont relancé les investigations et replacé la grande-tante dans le faisceau des soupçons. La stylométrie a ainsi permis de faire revivre un cold case que la mémoire collective croyait figé.

L’ère des preuves linguistiques

Les affaires Ramadan et Grégory marquent une inflexion historique. Après les empreintes digitales, l’ADN et la data, la justice entre dans l’ère du langage comme preuve.Dans les laboratoires forensiques, les textes sont désormais traités comme des scènes de crime : les mots sont scannés, comparés, classés. Les juges, eux, s’appuient de plus en plus sur ces expertises pour éclairer des dossiers où la parole humaine se contredit.