La table ronde : quand l’IA et la stylométrie redéfinissent l’enquête judiciaire

La table ronde ouverte par Maître Clarisse Juteau a réuni un ensemble exceptionnel d’experts, d’académiques et d’avocats pour explorer un thème devenu central dans le fonctionnement de la justice : l’intégration de l’intelligence artificielle, de l’analyse numérique et de la stylométrie dans les enquêtes judiciaires. À travers des approches complémentaires, les intervenants ont dévoilé une transformation profonde des pratiques d’enquête, de preuve et de défense. Cette rencontre a permis de mesurer à quel point la technologie ne constitue plus un simple appui, mais un levier méthodologique structurant pour la manifestation de la vérité.

SCIENCES

LTI TEAM

11/18/20253 min read

La table ronde ouverte par Maître Clarisse Juteau a réuni un ensemble exceptionnel d’experts, d’académiques et d’avocats pour explorer un thème devenu central dans le fonctionnement de la justice : l’intégration de l’intelligence artificielle, de l’analyse numérique et de la stylométrie dans les enquêtes judiciaires. À travers des approches complémentaires, les intervenants ont dévoilé une transformation profonde des pratiques d’enquête, de preuve et de défense. Cette rencontre a permis de mesurer à quel point la technologie ne constitue plus un simple appui, mais un levier méthodologique structurant pour la manifestation de la vérité.

Le premier intervenant, Denis Jacopini, expert de justice assermenté en cybercriminalité et protection des données, a montré comment l’IA s’intègre déjà dans le quotidien des investigations numériques . Reconnaissance d’images, tri massif de données, rapprochement automatisé d’évènements, identification d’objets ou de visages : autant de tâches impossibles à réaliser manuellement dans les délais d’une enquête. Selon lui, l’IA n’est ni un juge ni un décideur, mais un “assistant stagiaire” prodigieusement efficace, capable d’explorer en quelques secondes ce qui prendrait des semaines à des enquêteurs humains. Il a toutefois insisté : la responsabilité finale appartient toujours à l’expert ou au magistrat, jamais à la machine.

Visuddha Luengo, experte en formation digitale, a prolongé cette réflexion en montrant comment l’IA — générative, analytique ou agentique — permet d’augmenter les capacités d’analyse des enquêteurs et avocats . Assistants spécialisés, agents automatisés, analyse de corpus entiers de documents, synthèse vocale, détection de faux contenus générés : les outils qu’elle a présentés témoignent d’un changement de paradigme. Elle a également alerté sur les dérives possibles : deepfakes, voix synthétiques crédibles, avatars artificiels indétectables. Une réflexion structurée sur la preuve numérique, la vérification et la traçabilité devient indispensable pour protéger la justice et les citoyens.

Le cœur du débat s’est intensifié avec l’intervention du Dr Jean-Baptiste Camps, l’une des figures majeures de la stylométrie en France . Il a expliqué comment cette discipline — la science de la signature linguistique — permet d’attribuer des textes à leurs auteurs avec des méthodes statistiques robustes. Son travail sur Molière et Corneille en est une démonstration, mais son expertise s’étend aussi à des affaires judiciaires sensibles comme l’affaire Grégory. Camps a montré que la stylométrie peut éclairer des zones d’ombre là où les témoignages humains échouent, en détectant des constantes d’écriture impossibles à manipuler consciemment. C’est dans ce cadre que la stylométrie est devenue un outil-clé dans plusieurs dossiers récents, dont celui de Tariq Ramadan.

La table ronde a ensuite donné la parole à Maître François Saint-Pierre, ténor du barreau et avocat historique des époux Villemin . Avec la hauteur d’un praticien confronté depuis des décennies aux limites de la preuve traditionnelle, il a rappelé à quel point la stylométrie a bouleversé l’affaire Grégory, en offrant des éléments d’analyse impossibles à obtenir autrement. Son témoignage a mis en lumière la nécessité pour la justice contemporaine d’intégrer pleinement les sciences du langage computationnel, non pas pour remplacer l’enquête humaine, mais pour l’armer contre l’incertitude et contre les erreurs judiciaires.

Enfin, Maître Ouadie El Hammamouchi, avocat de Tariq Ramadan, a exposé le rôle central que la stylométrie a joué dans une décennie d’enquête, en France comme en Suisse . Dans ce dossier, les analyses stylométriques menées par la Dr Carole E. Chaski — pionnière mondiale dans la linguistique médico-légale — ont apporté des résultats déterminants. Ces travaux, fondés sur des taux de correspondance exceptionnellement élevés, ont conduit les avocats à demander une relecture complète du dossier. Pour Maître El Hammamouchi, l’enjeu est clair : lorsque la science apporte des éléments objectifs, la justice doit en tenir compte, à charge comme à décharge, afin que la vérité judiciaire rejoigne la vérité scientifique.

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