Philippe Aghion : L'inégalité qui se creuse, celle de l'égalité des chances et de la mobilité sociale

Invité de l’émission Tout est politique sur France Info, mercredi 15 octobre, le nouvellement sacré prix Nobel d’économie 2025, Philippe Aghion, a livré une lecture nuancée du débat fiscal et social français. S’il reconnaît que la France demeure l’un des pays les plus redistributifs du monde, l’économiste met en garde : « L’inégalité qui s’aggrave aujourd’hui n’est pas d’abord celle des revenus, mais celle des chances. »

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11/3/20253 min read

Philippe Aghion : “L’inégalité qui se creuse, c’est celle de l’égalité des chances et de la mobilité sociale”

Invité de l’émission Tout est politique sur France Info, mercredi 15 octobre, le nouvellement sacré prix Nobel d’économie 2025, Philippe Aghion, a livré une lecture nuancée du débat fiscal et social français. S’il reconnaît que la France demeure l’un des pays les plus redistributifs du monde, l’économiste met en garde : « L’inégalité qui s’aggrave aujourd’hui n’est pas d’abord celle des revenus, mais celle des chances. »

L’école, matrice des fractures sociales

Pour Philippe Aghion, la véritable urgence ne se situe pas dans la seule réforme fiscale, mais dans la refondation du système éducatif. « Ce qui me révolte, c’est que l’origine sociale détermine toujours le destin des enfants. Nous avons créé des trappes de pauvreté », explique-t-il.
Selon lui, la France souffre moins d’un manque de moyens que d’un mauvais usage de ses ressources. Il plaide pour un modèle inspiré de la Finlande : recentrage sur les savoirs fondamentaux – calcul, grammaire, dictée –, manuels scolaires de qualité, classes allégées et tutorat systématique pour les élèves en difficulté.
L’économiste insiste : « Les devoirs devraient être faits à l’école, et les enseignants mieux formés et mieux payés. » L’objectif : redonner à l’éducation son rôle d’ascenseur social et enrayer le lien mécanique entre milieu d’origine et performance scolaire, confirmé par les enquêtes PISA.

“Je suis un social-démocrate, mais pas punitif”

Interrogé sur le projet de budget 2026 du gouvernement Le Cornu, qui prévoit des hausses d’impôts sur les hauts revenus, Philippe Aghion défend une position d’équilibre : « Oui, il faut de la justice fiscale, mais elle ne doit pas décourager l’innovation. »
Il s’oppose ainsi à la “taxe Zucman”, proposée par une partie de la gauche, qui viserait les revenus non réalisés des très hauts patrimoines. « Cette mesure ferait fuir les entrepreneurs et priverait la France de la révolution de l’intelligence artificielle. Taxer Arthur Mensch (fondateur de Mistral AI) sur la valorisation théorique de sa société reviendrait à l’empêcher d’innover. »

L’économiste plaide plutôt pour une mise à plat des niches patrimoniales – notamment la niche Dutreil et les holdings familiales – afin d’en limiter les abus. « On doit pouvoir taxer davantage les usages improductifs du capital, les résidences secondaires ou les jets privés, mais jamais l’outil de travail », précise-t-il.

Redistribution et croissance : un même combat

Loin de dresser les inégalités contre la croissance, Aghion défend la thèse inverse : l’investissement dans l’éducation et la mobilité sociale est la condition de la prospérité. Il cite les travaux de son collègue Xavier Jaravel, auteur du livre Les Marie Curie perdues, montrant que la sous-représentation des enfants issus de milieux modestes parmi les innovateurs coûte à la France une part importante de sa croissance potentielle.
« L’innovation n’est pas le privilège des élites : elle naît là où le talent rencontre les chances. »

Une vision réformiste et humaniste de la justice fiscale

Philippe Aghion refuse de réduire la justice fiscale à un affrontement entre “riches” et “pauvres”. Il revendique un social-démocratisme de la mobilité, où l’État garantit l’égalité des points de départ plutôt que la redistribution permanente des résultats.
« Nous devons donner à chacun la possibilité de créer, d’apprendre et d’entreprendre. Taxer pour punir, c’est se priver des forces vives de demain. »

Son propos sonne comme un rappel dans un pays où le débat fiscal revient à chaque alternance : la véritable fracture n’est peut-être plus entre les classes, mais entre ceux qui peuvent se hisser et ceux qui restent enfermés dans leur origine.